Cet article a pour but de répondre aux questions relatives au devoir d'assistance financière envers les parents. Sujet délicat et souvent tabou car il a trait à l'argent et aux liens familiaux les plus étroits.
Nous commencerons par expliquer les particularités de cette thématique notamment via un cas pratique, celui vécu par Sarah. Me Emmanuel Delannoy avocat-fiscaliste et spécialiste du droit familial répond ensuite à 7 questions par lesquelles vous pourrez découvrir les divers aspects de la loi relative à l'obligation d'assistance financière envers les parents.
1. Présentation de la problématique de l’assistance financière envers les parents
Lorsque les liens familiaux entre parents et enfants sont équilibrés il va souvent de soi, pour les enfants, de subvenir à leur tour aux besoins de leurs parents lorsque leur situation financière se complique.
Mais que se passe-t-il si les liens se sont délités au fil des ans pour des raisons tout à fait compréhensibles et qu'il ne nous revient pas de juger tel que des enfants abandonnés par leurs parents ou maltraités pendant l'enfance ?
Cet article va vous permettre de mieux comprendre la problématique d'un sujet tabou, celui du devoir ou l'obligation d'assistance financière envers les parents.
Pour entrer dans le vif du sujet, celui-ci est défini par une obligation légale déterminée par l'article 205 du code civil : « Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère et autres ascendants qui sont dans le besoin ».
2. Que signifie concrètement ce devoir d'assistance financière envers les parents ?
En vertu de cet article, les enfants sont soumis à une obligation de " secours ". Elle concerne les enfants à l'égard de leurs parents (sauf s'ils ont été déchus de leurs droits), de leurs grands-parents. Mais ce n'est pas tout, cela risque d'en stresser plus d'un, cette obligation s'étend même jusqu'aux beaux-parents !
Pour illustrer ces propos, comme le dit Maxime le Forestier dans "Né quelque part" : "on ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille ..." et nous pourrions ajouter une réplique à cette chanson célèbre à savoir : "même si nous avons choisi notre compagnon ou compagne nous n’avons pas choisi notre belle-famille".
Voici l'histoire vécue par Sarah :
Ayant perdu son père lorsqu'elle était très jeune, Sarah a vite du prendre des responsabilités au sein de sa famille pour aller travailler très tôt en vue d'aider sa mère financièrement. Par la suite, Sarah pris par ses responsabilités familiales, a investi dans de l'immobilier et a continué à venir en aide à sa mère en la logeant. D’un point de vue fiscal, elle fut dans l’impossibilité de déduire le logement qu’elle offrait gracieusement à sa mère car elle aurait du coup été taxée d'un montant pratiquement équivalent. Sarah s'est également renseignée pour mettre son logement à disposition de sa mère via une immobilière sociale (AIS). Ce système lui aurait permis d’être exemptée de précompte immobilier et de récupérer une partie des loyers. Sarah reçut là également et malheureusement une fin de non-recevoir.
C'est ainsi que Sarah subvint aux besoins primaires de sa mère pendant plus de 20 ans. Au total, en tenant compte d'un loyer de 600 €, d'un précompte immobilier de 750 € et de différents frais liés au logement elle dépensa attachez-vous bien près de 180.000 € (le prix d’un bel appartement bruxellois).
Nous basant sur cette histoire réelle nous nous sommes adressés à Me Emmanuel Delannoy avocat fiscaliste au cabinet We.Law à Bruxelles dans le but d’explorer les solutions pour les personnes qui, comme Sarah, se retrouveraient confrontées à cette situation et les aider à se préparer à ce genre de fâcheuse situation qui soulève on peut le comprendre de nombreux tabous.
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7 questions posées à Me Emmanuel Delannoy du cabinet d’avocats We.Law :
1. (S. Van Passel) Me Delannoy, pourriez-vous donner un cadre plus précis concernant l'obligation de subvenir aux besoins alimentaires des parents tel que défini par l'article 205 du code civil ?
(Me E. Delannoy) :
L’idée fondamentale sur laquelle repose toute obligation alimentaire est que lorsqu’une personne est dans le besoin, il convient dans un premier temps de faire appel à la solidarité familiale plutôt que de s’adresser aux système sociaux mis en place tel que le C.P.A.S (A.-C. Van Ghysel, « Précis de droit des personnes et de la famille », Anthémis, 2013, Limal, p.460).
Le Code civil prévoit diverses obligations alimentaires dont l’étendue et la portée varient. L’on opposera ainsi les obligations alimentaires étendues (songeons par exemple à la pension alimentaire après divorce) aux obligations alimentaires restreintes dont fait partie l’obligation alimentaire dont les enfants sont redevables à charge de leurs parents.
Conformément à l’article 205 du Code civil : « Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère et autres ascendants qui sont dans le besoin ». Cette disposition doit en réalité être lue en parallèle avec les articles 207[1] et 208[2] du Code civil afin d’en appréhender la portée.
Il ressort ainsi de l’article 207 du Code civil que cette obligation alimentaire est réciproque. Cela signifie que les ascendants et les descendants se doivent réciproquement des aliments. Selon l’article 208 du Code civil, l’on comprend toutefois que cette obligation doit être limitée à l’état de besoin du bénéficiaire et que le débiteur des aliments ne peut, heureusement, être tenu au-delà de ce que ses revenus lui permettent d’assurer ses propres dépenses nécessaires.
Je tiens à préciser que L’état de besoin ne reçoit pas de définition propre et s’appréciera concrètement en tenant compte de divers facteurs tels que notamment le statut social du créancier d’aliments ou encore les conditions de vie normales auxquelles le créancier d’aliments pouvait prétendre compte tenu de son éducation (H. DE PAGE, Traité élémentaire de Droit civil belge, Tome II, Les personnes, Volume 1, 4ème édition par J-P. MASSON, p.484).
Pour vos lecteurs, sachez toutefois que cette obligation alimentaire sera toujours fixée de manière provisoire dans la mesure où la situation économique des créanciers ou débiteurs d’aliments peuvent changer avec le temps. Ainsi, le créancier d’aliments pourrait ne plus se trouver dans un état de besoin en raison du fait qu’il aurait, par exemple, trouvé un emploi ou hérité. Inversement, le débiteur d’aliment , ce qui est le cas de Sarah dans l’exemple repris en introduction, celle-ci pourrait perdre son emploi avec pour conséquence qu’il ne serait plus en mesure d’assumer cette obligation alimentaire.
2. (S. Van Passel ) Qu'entend-on par "parents" ? (grands-parents) (beaux-parents)
(Me. E. Delannoy) La notion de « parents » telle que reprise à l’article 205 du Code civil vise les ascendants des enfants en ligne directe quel que soit le degré de parenté entre eux.
Concrètement, cela signifie qu’une arrière-grand-mère pourrait solliciter de sa petite fille qu’elle lui fournisse des aliments. Compte tenu du caractère réciproque de l’obligation alimentaire, l’arrière-petite-fille pourrait également réclamer des aliments à son arrière-grand-mère et ce, même si elle est majeure.
Cette obligation alimentaire n’est pas à confondre avec l’obligation alimentaire étendue prévue par l’article 203[3] du Code civil et qui impose aux parents de contribuer à l’entretien, l’éducation et à la formation de leurs enfants mineurs.
L’on précisera également que ce devoir d’assistance financière envers les parents s’étend également aux beaux-parents de part l’application de l’article 206 du Code civil.
Ce qui peut désagréablement étonner certains de mes clients ce qu’en effet la loi stipule qu’il est également prévu que les gendres et belles-filles doivent des aliments à leurs beau-père et belle-mère. Cette obligation est toutefois limitée au premier degré et cesse dans deux hypothèses : a) lorsque le beau-père ou la belle-mère se remarie avec une autre personne b) lorsque celui des époux qui produisait l’affinité, et les enfants issus de son union avec l’autre époux, sont décédés.
Enfin, l’on rappellera pour autant que besoin qu’il s’agit à nouveau d’une obligation réciproque.
3. (S. Van Passel) Pouvons-nous vous demander jusqu'où s'étend cette obligation légale ? (montant maximum ? grille en fonction des revenus ? doit-on revendre sa maison si on n'a pas suffisamment de revenus ? ou héberger ses parents ?)
(Me E. Delannoy) Comme mentionné dans les paragraphes précédents, cette obligation alimentaire s’appréciera in concreto, en fonction de la situation propre à chaque créancier d’aliment ainsi qu’en tenant compte de la situation du débiteur d’aliments.
Pour rappel, le débiteur des aliments doit être en mesure financièrement de pouvoir donner des aliments.
Aussi, si plusieurs débiteurs d’aliments sont solvables, le créancier d’aliments ne pourra réclamer à chacun que sa part. Il n’y a donc pas de solidarité dans le cadre de cette obligation.
Si l’obligation alimentaire est généralement prestée en nature (cas par exemple de l’obligation alimentaire prévue à l’article 203 du Code civil), ce n’est pas nécessairement le cas. Ainsi, lorsque le créancier et le débiteur ne cohabitent pas ou plus, le paiement d’une somme d’argent remplacera l’exécution en nature.
Précisons toutefois que ce ne sera pas toujours nécessairement le cas. Un débiteur pourrait exécuter son obligation en nature en hébergeant le créancier d’aliments dans un logement dont il serait propriétaire comme dans le cadre de l’histoire vécue par Sarah.
4. (S. Van Passel) Au-delà de l’obligation alimentaire, les enfants sont-ils responsables des dettes de leurs parents ?
(Me. E. Delannoy) En principe les enfants ne sont pas redevables des dettes de leurs parents.
Il convient toutefois de nuancer ces propos dans le cadre d’une succession. Si les enfants acceptent purement et simplement la succession, ces derniers seront tenus d’apurer toutes les dettes qui feraient partie de la succession.
Une autre possibilité est d’avoir recours au mécanisme de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire. Dans cette hypothèse, les enfants héritiers ne seront tenus d’apurer les dettes de la succession qu’en proportion de l’actif qu’ils recueilleront.
Enfin, il est toujours possible de refuser purement et simplement la succession (dans le cas par exemple où la succession serait majoritairement composée de dettes). Ce faisant les enfants héritiers ne recueilleront rien dans la succession avec l’avantage toutefois qu’ils ne seront tenus responsable pour aucune des dettes de leurs parents.
5. (S. Van Passel) Afin d’anticiper une situation qui mettrait à mal l’équilibre financier et psychologique d’un enfant serait-il envisageable d’en quelque sorte "répudier" ses parents si ceux-ci se sont mal comportés envers les enfants ?
(Me. E. Delannoy) Hormis le cas de la déchéance de l’autorité parentale, les erreurs/fautes commises antérieurement à la demande d’aliments ne sont pas prises en compte[4]. Il suffit que celui qui réclame des aliments soit dans un état de besoin.
Précisions toutefois que l’état de besoin ne sera pas retenu si le demandeur d’aliments n’a pas fait diligence pour lui permettre de pourvoir à sa subsistance. En effet, si l’état de besoin peut être imputable au demandeur d’aliment (songeons par exemple, à un demandeur d’aliment qui ne fait aucun effort afin de trouver un emploi), l’obligation d’aliment ne devra pas s’appliquer.
6. (S. Van Passel) L'assistance financière aux parents est-elle déductible fiscalement ? Quid si la somme payée vient en plus des revenus des parents, l'enfant devra-il en plus payer le complément d'impôts ?
(Me. E. Delannoy) L’assistance financière, lorsqu’elle consiste en une rente alimentaire peut être déductible fiscalement sous certaines conditions : a) il faut que la rente alimentaire résulte d’une obligation alimentaire légale (c’est-à-dire, provenant du Code civil, du Code judiciaire ou encore d’une obligation légale étrangère) b) le créancier de la rente ne peut pas faire partie du ménage de la personne qui paie cette rente c) il faut que cette rente soit payée selon une certaine régularité et enfin d) le paiement de la rente doit pouvoir être justifié par des éléments probants.
Si ces conditions sont remplies, le débiteur pourra alors déduire 80% du montant de la rente alimentaire payée de l’ensemble de ses revenus nets.
7. (S. Van Passel) Dans le cadre de l'histoire vécue par Sarah qui a déjà tout mis en place pour subvenir aux besoins de ses parents devra-t-elle ainsi continuer à payer toute sa vie ?
(M. E. Delannoy) Comme précisé dans les questions précédentes, l’obligation alimentaire prévue par l’article 205 du Code civil est toujours fixée de manière provisoire compte tenu du fait que la situation financière des personnes peut évoluer au fil du temps.
Dans le cadre de l’histoire de Sarah, cette dernière pourrait elle-même connaitre des difficultés financières telles qu’elle ne pourrait plus venir en aide à ses parents. A l’inverse, il n’est pas improbable que ses parents reviennent à meilleure fortune.
Dans l’hypothèse où la situation de Sarah et de ses parents ne change pas, celle-ci restera redevable envers ses parents. Si cette situation semble a priori injuste, il y a lieu de la comprendre comme étant l’expression de la solidarité familiale.
Nous remercions Me Emmanuel Delannoy et son équipe du cabinet We.Law pour nous avoir consacré leur temps et leur expertise dans le but de répondre aux questions relatives à ce sujet pour le moins épineux. Pour de plus amples informations à ce sujet ou pour toute autre question nécessitant l’expertise de Me. Emmanuel Delannoy n’hésitez pas à le contacter au 02/207.30.05 e-mail : ed@welaw.be ou via leur site internet : www.welaw.be – bd de la Cambre, 45 à 1000 Bruxelles.
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Sources :
https://www.dhnet.be/actu/faits/contraints-d-aider-leurs-parents-51b7a3efe4b0de6db985607d
https://www.lecho.be/monargent/budget/jusqu-ou-va-le-devoir-d-assistance-financiere-a-l-egard-des-parents/9886757.html
Notes infrapaginales :
[1] « Les obligations résultant de ces dispositions sont réciproques ». [2] « Les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit ». [3] « §1er Les père et mère sont tenus d’assumer, à proportion de leurs facultés, l’hébergement, l’entretien, la santé, la surveillance, l’éducation, la formation et l’épanouissement de leurs enfants. Si la formation n’est pas achevée, l’obligation se poursuit après la majorité de l’enfant. (…) ». [4] Une comparaison peut être faite à cet égard concernant l’obligation alimentaire prévue par le Code civil français. Ainsi, l’article 207 du Code civil français prévoit que « Les obligations résultant de ces dispositions sont réciproques. Néanmoins, quand le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou partie de l’obligation alimentaire ».
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